
Portrait réalisé le 04/04/2023
L’histoire de La Librairie à soi·e a débuté en octobre 2021, lorsque ses portes se sont ouvertes pour succéder à Musicalame, une librairie spécialisée dans la musique et la danse. Située au cœur du centre-ville de Lyon, rue Pizay, à proximité de la place des Terreaux, La Librairie à soi·e s'est établie avec une orientation claire : les féminismes et les cultures queers.
Dans ce lieu unique, les livres sur les féminismes occupent une place centrale, mais la librairie propose également une large sélection de romans, bandes dessinées, livres pratiques, bien-être et sciences humaines, principalement écrits par des femmes. En mettant en avant ces plumes, la librairie souhaite transmettre un message fort : les femmes écrivent sur tous les sujets imaginables. Leurs écrits sont universels, précieux et puissants, et concernent chacun et chacune d'entre nous.
Lire la suitelocation_on 16 rue pizay - 69001 Lyon
phone 04 78 29 01 34
Voir le site de la librairie En savoir plus sur la libraireAu sommaire
Pour les lecteurs et lectrices, retrouvez ici tous les coups de cœur livresque de la Librairie à soi·e.
Je travaillais dans le tourisme d’affaires depuis 18 ans lorsque la pandémie de COVID-19 est arrivée. Le secteur du tourisme a été très impacté et suite à un plan social, j'ai dû quitter ma société, à contrecœur. Un bilan de compétences a fait sortir le métier de libraire comme l’une des options de reconversion pour moi. J'ai toujours baigné dans les livres, ma mère était bibliothécaire et bouquiniste. J'ai toujours beaucoup lu, mais jusque-là ça faisait partie de mes loisirs ; je n'avais jamais envisagé d'en faire un métier.
Rosa, libraire à la Librairie à soi·e © Chez mon libraire
Avec mon bilan de compétences, j’étais prête à rebondir lorsque le plan social est arrivé. Je me suis renseignée sur les formations. Même si légalement, ce n'est pas une obligation, c'était important pour moi. J'ai donc suivi la formation de l’École de la librairie (qui s'appelait à l'époque l'INFL) : « Créer ou reprendre une librairie », avec deux semaines de cours et quatre semaines de stage. J'ai fait mon stage à la librairie Le Comptoir des mots à Paris.
J'ai repris la librairie Musicalame qui a existé pendant seize ans, spécialisée dans la musique et la danse, ce qui était assez unique en France. D'ailleurs, aujourd'hui, il y a encore des clients et clientes qui viennent pour Musicalame qui ne sont pas au courant que la librairie a fermé, car n'habitant pas forcément à Lyon.
Mon projet initial était de m'installer sur le plateau de la Croix-Rousse pour la simple raison que je connais très bien ce quartier. J'étais sûre que la clientèle existait pour mon positionnement. Lorsque le site de Chez mon libraire a publié l'offre de cession de Musicalame, ce qui m'a séduit, c'est surtout le lieu, le local. Quand je l'ai visité, j'ai réalisé que cela correspondait parfaitement à ce que je cherchais en termes d'espace. Le lieu offrait des possibilités de faire beaucoup d'événements différents, ce qui faisait partie de mon projet initial. Je ne visais pas aussi grand pour la surface de vente (le local fait 120 m²), mais j'ai su que je pourrai y faire tout ce que je voulais.
J'ai voulu ouvrir une librairie féministe, tout simplement parce que cela correspond à ce que je lis et à ce qui m'intéresse. J'ai l'habitude de dire que je suis une féministe post #MeToo. C'est-à-dire qu'avant 2017, je ne me considérais pas comme féministe, puis je suis tombée dans la marmite ! Petit à petit, grâce aux bibliographies ou aux références de bas de page, j'ai fini par lire énormément de livres sur le sujet. Ces livres sont souvent écrits par des femmes. Ce n'était pas une démarche engagée dès le début, mais ça l'est devenu. J’ai décidé d'ouvrir une librairie en fonction de ce que je lis, de ce que je peux transmettre et partager. J'ai commencé à faire une étude de marché sur le marché français et lyonnais en termes d'offres en librairie et d'offre éditoriale.
Devanture de la Librairie à soi·e à Lyon © Librairie à soi·e
On parle des féminismes, c'est au pluriel. Parce qu'il n'y a pas qu'une théorie, mais plusieurs théories féministes, et beaucoup de thématiques qui en découlent (comme l'écoféminisme, les masculinités toxiques, les questions LGBTQIA+, de genre...). Tout ça a un rapport avec le féminisme. Le féminisme n'existe pas sans les luttes écologistes, anticapitalistes, antiracistes, etc. Toutes ces questions font partie de mon rayon féminisme pluriel, ce sont ces livres qu'on voit en premier en entrant dans la librairie et non pas la littérature. Tout le reste de la librairie présente des rayons classiques de la libraire généraliste, à savoir la littérature, la bande dessinée, la jeunesse… Mais avec une mise en avant très forte des autrices et des minorités de genre pour montrer que les femmes écrivent sur tous les sujets, que leurs écrits sont universels et ça devrait concerner tout le monde.
C'est pourquoi il faut absolument mettre en avant ces textes. Si je décide de ne pas mettre des livres écrits par des écrivains médiatiques, c'est que je privilégie d'autres livres écrits par des femmes, qui ne seront peut-être pas présentées ailleurs. Un homme qui achètera un livre dans cette librairie, ce sera un livre écrit par une femme. Et ça, c'est déjà une petite victoire. Et puis il y a quand même des livres écrits par des hommes. Il n’y en a pas beaucoup, 1 % on va dire… Qui ne sont pas là par hasard, évidemment.
Ce n'est pas une librairie de quartier. Autour de moi, il y a déjà les librairies Passages, Le Bal des ardents et Ouvrir l'œil. Je ne veux vraiment pas être en concurrence avec elles, mais apporter quelque chose de nouveau et complémentaire.
Ma clientèle vient de tout Lyon et Villeurbanne, voir au-delà. La clientèle est plutôt jeune.
Déjà sensibilisée, ou qui commencent à s'intéresser au sujet. C'est une clientèle très bienveillante. Je suis réellement contente de voir de plus en plus d'hommes. C'est aussi pour eux que j'ai ouvert, pour qu'ils s'intéressent de plus en plus, qu'ils viennent seuls, pas juste accompagnés. Malgré tout, ça reste très féminin encore, ainsi que toute la communauté LGBTQIA+.
Coups de cœur de la Librairie à soi·e sur les tables © Chez mon libraire
Au début, je voulais être toute seule, je ne pensais pas forcément à embaucher. Mais aujourd'hui, je travaille en équipe : Manon est salariée à plein temps, libraire déjà confirmée avec quatre ans d'expérience à Toulouse ; Amandine est en apprentissage depuis septembre dans le cadre du BP de l’École de la librairie. Donc nous sommes trois en tout.
Scoop : non ! Mais ça va mieux qu'il y a un an. J'ai du changé complètement de rythme professionnel. À partir de septembre, j'aimerais bien télétravailler le mardi pour les tâches administratives. Mes deux enfants ne sont pas encore autonomes à 100 % !
Isabelle, l'ancienne gérante de Musicalame m'a beaucoup accompagnée, et elle continue à le faire. Je la remercie vraiment beaucoup. Il faut être patiente, ça ne fait qu'un an et demi. J'arrive à me dégager le dimanche ou je ne fais rien à part lire. En conclusion, ça s'améliore !
Depuis le démarrage, la librairie est en croissance. Les prévisions que j’avais calculées ont toutes été dépassées. Dès la première année a été atteint le prévisionnel de l’année 2, et a priori l’année 2 va dépasser le prévisionnel de l’année 3. Le projet est d'embaucher Amandine à la fin de son apprentissage en septembre 2024. Nous serons alors 3.
Coups de cœur de la Librairie à soi·e sur les tables © Chez mon libraire
Le bouche-à-oreille fonctionne très bien. De notre côté, nous faisons beaucoup de communication, sur les réseaux (sociaux) notamment. Pour une part, notre communication est très classique : nous faisons des chroniques, des coups de cœur sur des livres, sur nos événements. Mais il nous arrive aussi d’écrire des posts engagés, selon l'actualité, ou pour informer.
Sur les réseaux sociaux, nous créons une story pour chaque nouveauté ! On ne se contente pas de publier l’image de la couverture, on écrit une petite phrase qui parle du livre. Ça prend beaucoup de temps, mais c’est très efficace ! Les client·es font leurs courses ici avec leur capture d’écran pour chercher un livre !
C’est vrai, mais je comprends très bien que ce ne soit pas le cas partout. Il faut aimer travailler avec les réseaux sociaux, être avec son téléphone, se former à la maîtrise des réseaux, tout ça prend du temps. Et la priorité doit rester la clientèle bien sûr. C’est notre façon à nous de défendre tous les livres qui arrivent dans notre librairie, ils ne sont pas là pour rien.
En plus des réseaux sociaux, nous avons un site web, l’envoi de newsletters, le site Chez mon libraire. La communication est donc une grosse partie de notre quotidien.
Nous accueillons beaucoup d'ateliers et d’animations. Il y a une salle dédiée pour les ateliers dans laquelle on tient jusqu’à dix personnes. Nous accueillons des cercles de parole, des ateliers de lecture, d'autodéfense féministe, une chorale... L'avantage d’une pièce fermée, c'est que ces ateliers peuvent avoir lieu en journée pendant les périodes d’ouverture.
Nous organisons quatre rencontres par mois avec des autrices, qui ont lieu dans l’espace de vente. Après la fermeture, on pousse tous les meubles qui sont sur roulettes et on peut accueillir jusqu’à 50 personnes. Ces rencontres sont vraiment appréciées, elles sont complètes la plupart du temps. Je ne fais pas beaucoup de ventes le soir des rencontres. Les gens viennent chercher du contenu, ils viennent échanger, rencontrer, participer au débat. C’est pourquoi le soutien financier qui m’est apporté pour les animations dans le cadre du Contrat de filière est très important : il me permet de payer notamment les frais d’hébergement et de déplacement des autrices, alors que les animations ne génèrent pas de recettes.
Les rencontres que je propose sont gratuites. En revanche, les ateliers sont soit à prix fixe, soit à prix libre, mais ça reste quand même très abordable et accessible, toujours avec des prix solidaires. Le loyer de ce local est cher. Les ateliers payants me permettent d'alléger un peu mes mensualités. Je loue aussi un espace de coworking sur la mezzanine, ce qui participe au frais, tout en générant du travail !
Salle des ateliers et expositions à la Librairie à soi·e © Chez mon libraire
L'accueil a été très bon, très enthousiaste. Le jour de l'ouverture, énormément de personnes sont venues. J'ai vraiment beaucoup de retours réellement positifs de ma clientèle, que ce soit les personnes qui découvrent ou les personnes qui sont déjà fidélisées : elle aime venir ici car tout y est centralisé, pour les compétences des libraires, et parce que c’est un lieu safe. Ici, les gens savent qu'ils peuvent nous parler, demander des conseils, et même parfois des conseils délicats. C’était une bonne idée d'ouvrir cette librairie à Lyon, il y en avait réellement besoin.
Intérieur de la Librairie à soi·e © Chez mon libraire
Oui plusieurs ! Au bout d’un an et demi, j’ai pu commencer à analyser les rotations des rayons et constater que certains ne marchent pas comme l’histoire. C’est un tout petit rayon, peut-être 30 références, mais il ne bouge pas. Est-ce que c'est la clientèle qui ne s’y intéresse pas, est-ce qu'il faut que je le change d'endroit, que je le mette en avant ? Au début, le rayon jeunesse a eu du mal à décoller. Je n’ai pas la clientèle familiale, ce n’est pas une librairie de quartier. Mais petit à petit, en y travaillant, en mettant en avant le rayon, la jeunesse s’est mise à bien tourner. En jeunesse, je sais aujourd’hui que je vais me concentrer sur certaines maisons d’édition que je défends. Je ne vais pas m’éparpiller. Ça me permet de me recentrer, de mieux connaître les collections, les catalogues, les maisons d’édition.
Ensuite, j'ai développé le livre en anglais pour répondre à la demande des touristes. Maintenant, j'ai un petit rayon de livres en anglais, écrits par une femme/féministe, etc. Et il marche bien.
Globalement, j'ai des bonnes relations avec tous les fournisseurs. Je ne suis pas visitée beaucoup. Je travaille tous les offices de tous les fournisseurs, tous les catalogues, je fais beaucoup de réassort auprès de la ou du représentant, j'envoie des grosses commandes une fois par mois ce qui me permet d’obtenir des surremises. Ça ne m'empêche pas de faire du réassort à la semaine, mais quotidien, non. En ce moment, je suis en train de renégocier mes remises de base. Au bout d'un an et demi, c'est plutôt bien accueilli. Chez tous les gros diffuseurs, je fais quand même des très bons chiffres parce que maintenant tout le monde propose des livres féministes. Même quand il y a peu de choses qui m’intéressent, il faut tout de même travailler les catalogues car au milieu de toutes les références, il peut y avoir une qu'il ne faut pas louper !
Oui, je pense qu'on peut parler de spécialisation Féminismes parce qu'il y en a déjà plusieurs, Paris, Bordeaux, Toulouse, Rouen, Grenoble, Nantes… et qu’il va y en avoir d'autres, c'est sûr. J’ai connaissance de projets en cours. Elles s’installent surtout dans les grandes villes. À partir du moment où ces librairies naissent et fonctionnent avec succès, je pense qu'on peut parler d'une spécialité à part. Ça va se développer tant que l'offre éditoriale est prospère et que ça reste un sujet de société. Et pour moi, ça le restera encore longtemps parce qu'il y a encore beaucoup de choses à faire.
Coups de cœur de la Librairie à soi·e sur les tables © Chez mon libraire
Pour l'instant, c'est un groupe de discussion sur Instagram. Nous réfléchissons à d’autres façons d’échanger, je leur ai proposé de se réunir à Lyon, mais c’est compliqué de dégager du temps ! Actuellement, on partage de temps en temps des idées. Nous sommes en train d’écrire un manifeste des librairies féministes pour définir ce que c’est, ce que ça sous-entend. On partage aussi des alertes si du contenu antiféministe se cache dans un livre, dans la mesure où on ne peut pas tout lire et tout vérifier. J’espère que ce groupe se transformera en vrai collectif, mais tout ça prend du temps !
Une librairie généraliste n'aura jamais autant de références. À moins d'être vraiment une grosse, grosse généraliste peut-être. Mais souvent, d'après ce que j'ai vu, le rayon féministe tient souvent sur une ou deux étagères. Ça va surtout être les best-sellers, les dernières nouveautés. Il n'y aura par exemple pas la place pour Blast, une petite maison d'édition de Toulouse qui est engagé sur ces questions et diffusé par Makassar. On les adore, leurs livres sont sur nos tables. Ensuite, nous avons des compétences particulières parce qu'on lit ces fonds, ce sont nos rayons phares.
Est-ce que qu'une personne qui cherche un livre sur les violences sexuelles, sur le syndrome prémenstruel, toutes les problématiques de femmes très spécifiques va aller facilement demander un conseil là-dessus dans une librairie qui a un tout petit rayon…? Je ne pense pas. Ça touche l'intimité. Ici, les gens le font plus facilement.
C’est une bonne chose que la plupart des généralistes aient un rayon féministe, parce que ça touche une autre clientèle. C’est bien aussi que d'autres types de population aient accès à ces livres-là, qu’ils voient au moins que le livre existe.
La Librairie à soi·e, une histoire de femmes © Chez mon libraire
Un an et demi après son lancement (octobre 2021), la Librairie à soi·e s'enracine toujours davantage dans le paysage lyonnais. Elle évolue progressivement pour devenir bien plus qu'un simple point de vente de livres : un espace inclusif, engagé et dynamique qui célèbre la diversité et les voix des femmes ; un lieu d'échange et de dialogue, offrant une atmosphère sécurisée et bienveillante pour sa clientèle.
Envie de découvrir des recommandations lectures de la Librairie à soi·e ? ça se passe par ici.
Propos recueillis par Chez Mon Libraire – Avril 2023
Librairie à soi·e
Année de création : 2021
Surface de la librairie : 120 m2
Stock moyen : 6 300 références
Nombre de personnes salariées : 2 salariées + 1 alternante