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Portrait du libraire Sophie André et Philippe Fusaro

Portrait réalisé le 17/04/2019

Portrait de Sophie et André - L'Oiseau Siffleur

Valence, ville moyenne dans le département de la Drôme, a la particularité d'avoir un réseau diversifié et concentré de librairies.

Deux d'entre elles nous ont reçus pour nous parler de leurs déménagements respectifs récents.

Penchons-nous le temps d'un entretien sur ce qui anime Sophie André et Philippe Fusaro de l'Oiseau Siffleur et Mélanie Darot de l'Etincelle, et sur les orientations qu'ils souhaitent insuffler à leurs tout nouveaux magasins.

[Partie 1]

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L'Oiseau siffleur

location_on 66 avenue Victor Hugo - 26000 Valence

phone 04 75 41 57 04

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Rencontre avec Sophie André et Philippe Fusaro de L'Oiseau Siffleur

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre librairie ?

Sophie : J'ai un parcours plutôt atypique, très lié au milieu culturel. Mon dernier poste consistait à améliorer l'offre culturelle sur le territoire de l’Ain dans les domaines du théâtre, du cirque, de la lecture publique et de la danse. Auparavant, je gérais un centre de documentation autour de la thématique compostellane à Toulouse et nous faisions entre autres de la coédition avec Gallimard Découvertes sur des guides pratiques et culturels. En 2005 j'ai rencontré Philippe Fusaro, à l'époque libraire à Lyon chez Passages. C'est un passionné d'Italie, de littérature et de livres. Il a travaillé de nombreuses années dans plusieurs librairies comme Quai des Brumes à Strasbourg , puis Passages à Lyon, la ville où se trouve son éditeur La Fosse aux Ours. Depuis l’ouverture de la librairie en juin 2014, Philippe m'aide en tant que libraire et parallèlement développe ses propres projets d'écriture. Il intervient aussi depuis 5 ans en tant que formateur pour le Brevet Professionnel Libraire de Villefranche-sur-Saône.

L'idée de créer un lieu autour du livre et de la restauration, avec une thématique orientée voyage a germé autour des années 2000. En 2012/2013 nous avons eu l'occasion de faire un long voyage à l'étranger avec nos enfants. A notre retour en 2013 le projet avait bien mûri et évolué. J'étais prête à me lancer dans une librairie plus généraliste, marquée d'une identité forte, avec beaucoup de conseils de lectures, un lieu associant à la fois les livres d'occasion et les livres neufs, ainsi que la belle papeterie. Pendant une année, le projet s'est véritablement préparé et j'ai été aidée par une expérience de terrain à la librairie Terre des livres à Lyon et par la CCI de la Drôme pour toute la partie montage financier. Je me suis formée également grâce aux conseils avisés de libraires expérimentés tels que Philippe ou Françoise Charriau, co-gérante de la librairie Passages.

Le choix du lieu d’implantation était une ville moyenne, à taille moyenne qui nous permette de vivre agréablement avec nos deux enfants, encore petits. Par ailleurs, Philippe, qui se partage entre son activité de libraire et d'écrivain, avait besoin de se déplacer pour les rencontres notamment. Le positionnement de Valence, dans la Drôme voisine, ville facilement accessible, à taille humaine et très proche de la nature était donc attractif. En 2014 nous décidions de nous y installer et nous avons trouvé un emplacement dans la vieille ville, à proximité des autres librairies. Nous avons commencé comme ça.

Vous avez récemment déménagé. Quelles ont été vos motivations ?

Sophie : Il y a plusieurs raisons. Notre projet était assez atypique : associer la papeterie-carterie, le livre d'occasion et le livre neuf avec une offre très marquée puisque concentrée sur un distributeur exclusif, Harmonia Mundi réduit globalement notre offre. Après une belle progression pendant trois ans, la quatrième année a été marquée par un léger tassement du chiffre d'affaires. Nous avons constaté que le livre neuf avait un beau potentiel, qu'il se développait de plus en plus et pourtant il représentait une faible part de notre surface de vente. Il prenait de plus en plus de place et les gens étaient très en attente de nos conseils, coups de cœurs et animations. Le livre d'occasion avait plutôt tendance à se tasser ; on avait visiblement atteint notre niveau limite et, clairement, on ne pouvait pas plus développer notre activité. La carterie quant à elle était stable. Le fait par ailleurs de proposer une sélection de livres neufs très marquée nous contraignait beaucoup au niveau des rencontres et du catalogue. Nous ne pouvions pas développer les commandes clients, ce qui est un moyen de fidélisation.

Par ailleurs le déménagement futur (fin 2019) de la médiathèque dans un autre quartier allait impacter la fréquentation de notre rue, car une partie de notre clientèle profitait de la sortie médiathèque pour venir nous voir.

Nous étions situés au bout de la Grande Rue et nous nous sentions à l’étroit. Nous nous sommes donc mis en recherche d'un nouveau local et c'est dans le quartier Victor Hugo que l'opportunité s'est présentée. Une zone très commerçante et fréquentée sans librairie indépendante mais avec une Fnac.

Il y a 20 ans, la librairie Fournier y avait pignon sur rue, une institution de 50 ans très identifiée et qui était située 10 numéros avant notre librairie actuelle. Beaucoup de valentinois nous en parlent encore. Ce premier emplacement dans la vieille ville était une étape qui nous a permis de tester notre concept.

Images de la librairie L'Oiseau Siffleur

Quelles modifications, évolutions ont été apportées suite à ce déménagement ?

Sophie : L’identité de l’Oiseau Siffleur a été respectée au niveau des couleurs (enseigne jaune canari, étagères rouge cerise). L’offre : livre neuf, livre d’occasion et papeterie-carterie est restée la même, simplement la proportion de ces familles de produits a évolué. Nous avons opéré une bascule en développant grandement le livre neuf pour atteindre le modèle d’une librairie indépendante classique, proposant une offre éditoriale large et conséquente, passant de 1 500 références à presque 8 000 ! Nous avons gardé l'offre de livres d’occasion (généraliste et des pièces plus rares), mais nous l’avons resserrée, et nous avons maintenu une belle papeterie-carterie.

Nous avons effectué des travaux importants dans notre nouveau local avenue Victor Hugo : éclairage, peinture, menuiserie intérieure (en gardant une unité), et la réserve qui était en mauvais état. Bien sûr, avec le développement du livre neuf, nous avons étoffé les rayons Sciences Humaines, Littérature, Jeunesse, Beaux -Arts et aussi Polar. Maintenant nous sommes plus souvent deux que seuls et avec Philippe nous espérons à moyen terme recruter un apprenti.

La partie animation est toujours d’actualité, avec un à deux rendez-vous par mois. L’évolution vers plus de livres neufs a permis de travailler de nombreux catalogues d’éditeurs et d’avoir un choix plus large en terme de sorties littéraires et d’auteurs. A moyen terme, nous espérons travailler plus étroitement avec les écoles alentour.

Cela vous a demandé combien de temps ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Sophie : Le changement et l’agrandissement du lieu a pris environ 8 mois entre l’idée et la mise en route. Les difficultés que nous avons rencontrées étaient liées au choix du local, et au fait de mener de front recherche de financements et activité de la librairie.

Les démarches administratives sont relativement lourdes. Heureusement, nous avons bénéficié d'un appui fort de notre banque, et d'une attention des organismes spécifiques à la librairie comme le CNL et l’ADELC qui nous ont conforté dans la poursuite du projet, sans oublier que la longue expérience de Philippe Fusaro dans ce secteur a également contribué à la confiance des partenaires. De mon côté, j’ai montré que mon expérience plus atypique et ma forte motivation pouvait également contribuer à la pleine réussite du projet. Les structures d’aide sont très attentives à l’équilibre économique du projet et elles ont raison car « tenir une libraire » est une grande aventure !

Avez-vous bénéficié de certaines aides ? si oui, pouvez-vous nous donner plus de précisions ?

Sophie : Oui, nous avons bénéficié des aides de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de la DRAC (pour l’informatisation), de l’association Initiactive Drôme-Ardèche, de l’ADELC, ainsi que du CNL, à travers des subventions, ainsi que des prêts à taux zéro. L’intérêt est que certains sont à remboursement différé comme l’ADELC et le CNL, ce qui permet de « faire tourner la boutique et d’engranger des sous » avant de rembourser. C’est un bon tremplin pour consolider l’activité de la librairie.

Comment s’est passé la réouverture et quel a été l'accueil de la clientèle ? qu’en est-il de votre nouvel emplacement ?

Sophie : Changer pour le quartier Victor Hugo, même si la distance n’est que de 900 mètres nous a posé question. Notre fidèle clientèle allait-elle nous suivre ? Finalement en discutant avec nos clients, nous avons perçu qu’un bon tiers venait déjà de ce quartier.

Nous avons fermé l’ancienne boutique le 27 octobre et nous avons réouvert le 16 novembre en tenant les délais, ce qui est en soi une gageure ! L’accueil a été chaleureux les premiers jours et l’équipe municipale est venue nous visiter (la mairie actuelle est très attentive au commerce de proximité et au dynamisme du centre-ville). Une nouvelle clientèle curieuse et ravie s’est manifestée, elle est venue rapidement faire ses emplettes pour les fêtes de fin d’année et a continué à venir par la suite. Cette nouvelle clientèle vit et/ou travaille dans le quartier où il y a une vraie activité économique et sociale. Visiblement, ces personnes fréquentaient surtout la Fnac (située à 200 m, au centre commercial Victor Hugo) ou achetaient sur internet… Elle semble très contente d’avoir une librairie à proximité, car la proposition alentour est plutôt tournée autour du prêt à porter, ou des assurances. Certains anciens se souviennent de la librairie Fournier qui était située dans la même avenue, 10 numéros avant nous.

La plupart des clients apprécient l’atmosphère du lieu, l’agencement aéré et convivial, les fiches coups de cœur et les conseils de lecture. Les anciens clients reviennent avec plaisir et apprécient l’offre plus étoffée de livres neufs.

Images de la librairie L'Oiseau Siffleur

Comment avez-vous communiqué sur ce changement ?

Sophie : Pendant le mois qu'a duré les travaux dans notre nouveau local, nous avons apposé une grande affiche sur la vitrine, avec une photo de notre enseigne et de nous, annonçant l'ouverture prochaine de la librairie. Cette communication « gratuite » a bien fonctionné. Nous avons aussi prévenu la presse, communiqué via Facebook et notre newsletter mensuelle.

Notre site web et notre charte graphique sont restés les mêmes. Ayant beaucoup de choses à gérer en même temps, nous avons opté pour une communication simple mais efficace.

Quelques mois plus tard , quel bilan faites-vous ?

Sophie : Nous sommes installés depuis un peu plus de quatre mois et notre CA notamment au comptant est en constante progression, ce qui est une très bonne nouvelle ! Ce qui est compliqué aujourd’hui est l’adaptation à cette nouvelle configuration qui demande beaucoup de présence, de temps et d’énergie, mais nous sommes confiants.

Le travail en librairie n’est pas le même lorsque vous passez de une à deux livraisons par mois à huit, tout comme le passage de 1500 à 8000 références de livres qui demande une vigilance constante sur son stock et la manière de le faire tourner. Le temps des commandes et des rendez-vous avec les représentants est plus important également, et les commandes clients que nous traitions à la marge deviennent monnaie courante. La rapidité des publications et des nouveautés dépasse le temps de lecture du libraire, d’où la problématique de concilier choix de lectures pertinents et suivi de l’actualité littéraire car, au-delà de nos lectures, il convient d’être constamment « au fait des livres dont on parle ». La belle papeterie, malgré son emplacement plus réduit, a trouvé sa place, la partie livre d’occasion est devenue en revanche moins visible, à nous de trouver des solutions pour valoriser et faire connaître ce fonds.

Nous ne nous sommes pas encore attelés à développer le travail avec les collectivités et nous concentrons essentiellement sur notre clientèle de particuliers qui devient conséquente et stable. Concernant les animations, nous continuons notre programme qui rassemble beaucoup de monde, avec en moyenne une quarantaine de personnes par soirée. Le fruit d’un travail régulier d’animations depuis quatre années, et de collaborations avec d’autres événements et structures culturelles. A l’échelle d’une ville comme Valence, nous nous sentons investis d’une mission culturelle. En effet, bien que la librairie soit avant tout un commerce de livres, nous essayons, à notre modeste échelle, d’être un lieu d’échange d’idées et de partage.

Qu’est-ce que représente aujourd’hui pour vous le fait d’être libraire indépendant ?

Sophie : Etre libraire indépendant, c’est affirmer des goûts de lecture, mais aussi défendre des idées. C’est montrer une pluralité d’acteurs du livre et de l’illustration. Je vois la fonction du libraire comme un passeur, un lecteur averti qui souhaite partager ses lectures, mais aussi informer sur le monde que l’on traverse aujourd’hui, un monde complexe, parfois incompréhensible. On sent une grande curiosité et une grande demande d’explications de la part du lecteur. Quel que soit son âge, l’homme a besoin d’histoires pour se construire. 

 


Propos recueillis par Chez Mon Libraire – Avril 2019

Librairie L'Oiseau Siffleur
Année de création : 2014
Année de déménagement : 2018
Surface de la librairie avant le déménagement : 45 m2 / après le déménagement : 75 m2
Stock moyen avant le déménagement : 1 500 références en neuf et 5 000 occasions /
après le déménagement : 8 000 références en neuf et 4 000 occasion