En 2013, la librairie des Danaïdes à Aix les Bains fête ses 10 ans
Bénédicte et Romain Cabane sont les heureux libraires de la Librairie des Danaïdes à Aix-les-Bains. Ils reviennent avec nous sur cette aventure dans laquelle ils se sont lancés en 2008.
Quel a été votre parcours professionnel avant de reprendre cette librairie ? Aviez-vous déjà une expérience dans ce domaine ?
Nous avons tous les deux une formation généraliste école de commerce. Malgré tous les défauts d’un tel parcours, nous reconnaissons que cela offre de bonnes bases pour tenir un commerce.
Bénédicte avait travaillé auparavant à l’Association Emmaüs comme contrôleur de gestion, et à Dakar au Sénégal comme enseignante de collège en mathématiques. Pour ma part, j’ai occupé des postes très divers que ce soit dans les assurances, comme prof de marketing et d’économie au Sénégal, comme travailleur social à l’Association Emmaüs, puis en librairie chez Atout Livre à Paris il y a une dizaine d’années.
En passant et pour insister sur l’expérience dans le domaine, je me souviens que pour travailler chez Atout Livre, sachant que je n’avais quasi aucune chance de me faire embaucher comme ça, j’étais allé trouver la gérante et propriétaire de l’époque, Martine BRETON, à qui j’avais raconté que j’avais le projet de monter une librairie (ce qui n’était pas vrai à l’époque) et que je voulais faire un stage pour voir comment c’était. Elle m’avait pris deux mois à l’essai, puis j’ai signé un CDI. Un apprentissage pas bien ludique, strict et presque militaire, mais je dois avouer que j’en retire encore aujourd’hui bien des enseignements. Donc je la remercie sincèrement.
Quelles ont été vos motivations pour reprendre cette librairie en particulier et dans cette ville plus précisément?
Au cours de notre volontariat pour la solidarité internationale (VSI) au Sénégal nous avons beaucoup apprécié les échanges humains, leur spontanéité et leur nécessité. Nous y avons un peu réfléchi, comme ça. Et puis un jour, quelque temps après notre retour, nous avons voulu quitter Paris, voir autre chose, être en contact véritablement avec les gens. Nous avons joué à « et qu’est-ce que tu voudrais faire si tu pouvais faire tout ce que tu voulais ? ». Sachant que nous aimions tous les deux lire (assez différemment), et que Romain voulait vraiment travailler à son compte dans un domaine qui lui plaisait, nous avons choisi la librairie.
Quant à la ville, c’est presque le hasard. Nous n’étions pas fixés mais la librairie nous a plu, et la région était agréable avec son lac, ses montagnes, le beau temps (quelle idée !).
Que pourriez-vous nous dire du fait de travailler en couple notamment ?
On se voit beaucoup, pas de doute. On peut penser que ça doit faire beaucoup, mais bon, en fait ce n’est pas lourd et c’est comme tout, quand nous avons besoin d’air on le trouve. Moi je pars à la montagne une grosse demi-journée par semaine s’il fait beau, et Bénédicte du coup part en vacances quand j’ai pris 5 journées.
Au quotidien nous ne faisons pas du tout la même chose. Déjà, nous ne lisons pas les mêmes choses. Bénédicte s’occupe de la jeunesse, moi non. Je fais le bricolage, la communication, les livraisons, la réception, les retours, le ménage… Bénédicte s’occupe davantage de la gestion au quotidien, des relances, des fournisseurs, des collectivités, de l’administratif… Donc on ne se marche pas sur les pieds. Et puis les clients s’adressent différemment à nous, ne nous considèrent pas comme une seule entité à deux têtes. Et depuis peu, nous travaillons avec une salariée. Ça change aussi notre façon de fonctionner.
En réalité, le plus difficile à gérer est l’envahissement. Laisser la librairie dans ses murs et ne plus en parler quand on quitte la librairie, voilà qui est moins évident. Mais avec le temps on se rend compte que ça nous occupe un peu moins l’esprit (moins que lors de la reprise par exemple), sans doute du fait que nous craignons moins pour la pérennité de notre entreprise. Et puis nous avons une fille qui est arrivée en même temps que le déménagement de la librairie : c’est assez radical pour vous faire oublier le reste.
Quel est le positionnement de votre librairie ?
Nous avons une librairie généraliste, de proximité. Nous avons essayé d’ouvrir notre offre lors de la reprise, davantage encore lors du déménagement. Nous avons du mal à nous débarrasser de notre étiquette « élitiste », en partie héritée de la précédente librairie et en partie méritée bien que non assumée. Nous souhaitons juste proposer autre chose que ce dont il est fait partout la promotion, faire découvrir, inciter les gens à creuser. Mais nous avons par ailleurs les meilleures ventes en pile sur nos tables : nous n’éprouvons vraiment pas le besoin de les défendre. Et puis nous ne sommes pas visités par l’ensemble des représentants, ce qui est pour nous, paradoxalement, une chance puisque nous pouvons du coup faire l’impasse à moindre frais sur une importante part de la production, ce qui nous permet plus facilement de mettre en avant des choses moins courues (nous croulons sous les nouveautés, certes, mais objectivement moins que d’autres). Nous avons ainsi l’impression de faire des choix plus librement. Sur nos tables, la majorité des livres ont moins de trois mois, mais tous ne font pas partie du top 50, et nous mettons en avant des coups de coeur qui résistent tant bien que mal à plusieurs mois d’offices.
Au moment de la reprise, quelles modifications, évolutions ont été apportées et avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de leur mise en oeuvre ?
Nous n’avons pas eu l’impression de changer les choses en profondeur, mais cela a été perçu comme tel par la clientèle. Nous avons éclairci la librairie en enlevant des présentoirs, en ajoutant des lumières, nous avons posé un peu de signalétique et de couleurs et ouvert un peu l’offre. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Dès le premier mois de la reprise, nous avons divisé le chiffre d’affaires par deux. Au final, sur notre première année d’exploitation, c’est plus d’un quart du chiffre d’affaires que nous avons perdu alors que nous étions deux et que le précédent libraire était seul… La principale difficulté a donc été de trouver de nouveaux clients et, dans une moindre mesure, de convaincre les anciens que nous faisions nous aussi un travail de qualité. Le fait est que nous arrivions de Paris et ne connaissions personne à Aix les Bains, et que l’ancien libraire était assez charismatique. Ce n’est qu’au bout de la troisième année que nous avons récupéré le chiffre qu’il faisait. Autant dire que cela n’a pas été facile au début.
Vous avez bénéficié d’un tutorat, pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste et ce que cela vous a apporté ?
Maya Flandin, de la librairie Vivement Dimanche à Lyon, est venue à plusieurs reprises pour visiter la librairie, voir ce que nous faisions comme arrangement, nous donner des conseils, des idées, répondre à nos questions concernant nos achats, les offices, nous dire comment elle-même travaillait etc. Nous étions dans une phase d’interrogations intenses du fait de nos soucis économiques, mais qui s’étendait bien sûr bien au-delà. Nous avions l’impression de bien faire, en tous les cas de faire de notre mieux, mais étions-nous sur la bonne voie, ou faisions-nous n’importe quoi ? comment se faisait-il que les chiffres ne remontaient pas, que certaines journées nous ne voyions personne etc. ? Du coup, le fait de savoir que nous n’étions pas tout à fait seuls, que quelqu’un d’autre se penchait sur notre cas, ça nous a bien aidé. En plus, le fait d’avoir eu la confirmation que nous ne nous trompions pas nous a redonné confiance et nous a encouragé à persévérer. Tous ces échanges ont aussi soulevé d’autres interrogations, ont ouvert d’autres pistes de réflexion sur la profession, sur nos façons de faire, sur le sens de nos métiers et sur la nécessité de se grouper pour les défendre.
Vous avez déménagé en septembre 2011, qu’en est-il de votre nouvel emplacement ? la clientèle a-t-elle suivie ?
L’objectif de notre déménagement était d’augmenter le chiffre d’affaires, pour assurer la situation de la librairie, et pour embaucher afin de nous dégager un peu de temps libre. Depuis lors nous avons augmenté le chiffre au détail de plus de 50% et nous avons pu embaucher Marion. Avant le déménagement nous prenions deux semaines de vacances par an. Depuis le début de l’année 2013, nous avons pris 4 semaines de vacances, et nous en prévoyons même 5 sur l’année ! Donc, honnêtement, ça va plutôt très bien pour nous, même si l’équilibre est toujours fragile. L’investissement a été important, mais nous avons des soutiens solides et il était nécessaire de le faire si nous voulions que la librairie vive.
Aujourd’hui, 5 ans après, quel serait votre bilan, et quels sont les retours de vos clients ?
Le bilan est positif, tant sur le papier que dans la tête. Nous ne craignons plus pour l’avenir à court terme de la librairie des Danaïdes. C’est déjà énorme, nous avons moins de pression. De plus, nous sommes contents et même fiers d’avoir créé deux emplois depuis la reprise en 2008, c’est gratifiant. Nous avons maintenant davantage d’énergie pour animer la librairie, communiquer, sensibiliser.
Parmi nos clients, certains sont contents de voir que nous proposons autre chose, une alternative en termes de choix, d’approche et d’animation. D’autres sont effrayés par la quantité de livres toujours plus grande qui tient sur nos tables. D’autres encore trouvent que depuis le déménagement ce n’est plus vraiment la même chose. D’autres disent que la librairie est belle, qu’il y a de l’espace, que nos choix sont intéressants. Mais bon, c’est assez varié, difficile de faire le tour.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Cela devrait bien se passer pour les Danaïdes. Nous n’avons pas besoin que notre chiffre d’affaires continue à grimper. Or pour le moment, il continue à augmenter. Si nous ne faisons pas de bêtises et s’il n’y a pas d’imprévu majeur, ça continuera encore quelques temps.
A plus long terme c’est difficile de dire comment les choses évolueront. Est-ce que le numérique, que personne ne semble appeler de ses voeux pour le moment à l’exception d’Apple, Google, Amazon et des collectivités publiques, viendra nous priver d’une partie de nos clients ? L’évolution des comportements nous privera-t-elle de lecteurs sur papier ? Est-ce que les centres villes seront désertés, sans âme et sans commerces, avec une population qui ira faire ses courses sur internet, et se fera livrer directement dans le coffre de la voiture par un automate au drive ?
En tous les cas, si l’on continue à lire des livres papier, à acheter en centre-ville et à combattre certaines pratiques des diffuseurs/distributeurs, nous aurons notre place…
Pour vous, être libraire indépendant c’est quoi ?
Nous y avons un peu réfléchi pour les 10 ans de la librairie. Pour nous, trois axes, au-delà de la stricte définition, résumeraient globalement ce que représente le fait d’être libraire indépendant. C’est avoir la liberté de proposer ce que nous voulons, être acteur de la vie locale et échanger autour du livre. Bien-sûr nous pourrions ajouter des choses, et maintenant que j’y pense, sans doute que la dimension « profession » est importante elle aussi. Je veux dire par là que les libraires indépendants se reconnaissent notamment à leur capacité à penser la profession et son avenir, à avoir des projets pour celle-ci et à la défendre bec et ongles. Comme partout ailleurs, il est de plus en plus important de résister à l’uniformisation.
Propos recueillis par Libraires en Rhône-Alpes - juin 2013
Librairie Les Danaïdes
9 rue de Chambéry, 73100 Aix-les-Bains
Tél : 04 79 61 10 41
Année de création : En 2003 par F. Rousset et reprise en 2008 par Bénédicte et Romain Cabane
Surface de la librairie : 80 m2
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Petite visite en photos de la librairie
